CHEZ PASTELS
En arrivant chez Pastels, je suis au bord des larmes ; il est évident que nous ne pourrons pas avoir de table. Mais pourtant nous en obtenons une, une bonne, et une vague de soulagement me submerge, presque effrayante, telle une marée d’équinoxe. McDermott connaît le maître d’hôtel de chez Pastels, et bien que nous n’ayons effectué la réservation que quelques minutes auparavant, depuis le taxi, on nous fait traverser le bar bondé pour nous conduire à une très bonne table pour quatre, dans un box face à la salle rose et brillamment illuminée. Obtenir une réservation chez Pastels est chose vraiment impossible, et Van Patten et moi, et Price lui-même je crois, sommes impressionnés, et peut-être même envieux de la prouesse de McDermott. Après nous être entassés dans un taxi, à Water Street, nous nous étions aperçus que personne n’avait réservé où que ce fût ; tandis que nous discutions des mérites d’un nouveau bistrot sicilo-californien de l’Upper East Side — moi dans un tel état de panique que j’avais failli déchirer le Zagat —, un consensus semblait se faire jour. Price était le seul à émettre des réserves, mais il avait finalement déclaré en haussant les épaules qu’il « n’en avait rien à foutre », et nous avions utilisé son Easa-phone pour faire la réservation. Il avait coiffé son walkman, et réglé le volume si fort que l’on percevait la musique de Vivaldi au travers du vacarme de la circulation qui envahissait le taxi par les fenêtres à demi baissées. Van Patten et McDermott faisaient des plaisanteries inconvenantes à propos de la taille de sa queue. Moi aussi. Devant chez Pastels, Tim avait saisi la serviette sur laquelle Van Patten avait noté la version définitive, longuement mûrie, de sa question pour Gentleman Quarterly, et l’avait jetée à un clochard recroquevillé devant la façade du restaurant, tenant d’une main faible une pancarte de carton souillé : J’AI FAIM. JE SUIS SANS ABRI. AIDEZ-MOI SVP.
Tout semble aller pour le mieux. Le maître d’hôtel nous a apporté quatre bellinis offerts par la maison, mais nous avons cependant commandé quatre autres verres. Les Ronettes chantent Then He Kissed Me, notre serveuse est un petit trésor, et Price lui-même semble détendu, bien qu’il déteste l’endroit. De plus, il y a quatre femmes à la table en face, toutes superbes blondes, gros nénés : l’une d’elles porte une robe-chemise réversible en laine, Calvin Klein, une autre une robe de tricot de laine avec des liens de faille de soie, Geoffrey Beene, une autre porte une jupe symétrique de tulle plissé avec un bustier de velours brodé, Christian Lacroix, je pense, et des escarpins à talons hauts Sidonie Larizzi, et la dernière a une robe-bustier pailletée, sous une veste cintrée en crêpe de laine, Bill Blass. À présent, ce sont les Shirelles que l’on entend (Dancing in the Street), et la sono, associée à l’acoustique du lieu, très haut de plafond, fait que nous sommes quasiment obligés de hurler nos commandes pour nous faire entendre de notre petite serveuse — laquelle porte un tailleur de laine chinée bicolore à galons de passementerie Myrène de Prémonville et des bottes à empiècement de velours, et a, j’en suis à peu près sûr, des vues sur moi : rire de gorge quand je commande en hors-d’œuvre un sushi de baudroie et de calmar avec du caviar doré ; regard si intense, si pénétrant, lorsque je commande l’étouffée de saumon en croûte au coulis de petites tomates vertes, que je suis contraint de baisser les yeux sur mon bellini rose servi dans une grande flûte à Champagne, avec un visage grave, une expression parfaitement mortelle, afin qu’elle ne s’imagine pas que je suis à ce point intéressé par elle. Price commande des tapas, puis du gibier à la sauce au yaourt et de jeunes pousses de fougères accompagnées de mangue fraîche en tranche. McDermott commande le sashimi avec du fromage de chèvre, et ensuite le canard fumé aux endives et au sirop d’érable. Van Patten prend la saucisse de coquille Saint-Jacques, et le saumon grillé au vinaigre de framboise et à la sauce verte. L’air conditionné marche à fond, et je commence à regretter de ne pas avoir mis le nouveau pull-over Versace que j’ai acheté la semaine dernière chez Bergdorf. Il irait très bien avec mon costume.
— Voulez-vous être assez aimable pour nous débarrasser de ça ? demande Price, désignant d’un geste les verres de bellini.
— Une seconde, Tim, dit Van Patten. Du calme. Moi, je vais les boire.
— De la saloperie européenne, explique Price. De la saloperie.
— Tu peux boire le mien, Van Patten, dis-je.
— Attendez, intervient McDermott, retenant le serveur. Je garde le mien, aussi.
— Et pourquoi ? demande Price. Tu essaies d’appâter la petite Arménienne, là-bas, au bar ?
— Quelle petite Arménienne ? demande Van Patten, tendant le cou, soudain en éveil.
— Emportez tout, dit Price, presque enragé.
Soumis, le garçon débarrasse les verres, et s’éloigne sans un regard.
— Qu’est-ce qui te fait croire que c’est toi qui commandes ? gémit McDermott.
— Regardez, les gars. Regardez un peu qui arrive. Van Patten émet un sifflement. Oh, mince...
— Oh, pour l’amour du ciel, pas ce putain de Preston, soupire Price.
— Non, pas du tout, dit Van Patten, l’air sombre. Il ne nous a pas encore aperçus.
— C’est Victor Powell ? Paul Owen ? (J’ai peur, tout à coup.)
— Devinette : Ça a vingt-quatre ans, et ça représente un tas de pognon... disons, répugnant, fait Van Patten avec un sourire grinçant. Apparemment, le type en question l’a repéré, car le sourire se fait soudain radieux, éblouissant. « Un vrai tas de merde », ajoute-t-il, toujours souriant.
Je tourne la tête, en vain. Je ne remarque rien.
— C’est Scott Montgomery, dit Price. Pas vrai ? C’est Scott Montgomery.
— Peut-être, fait Van Patten, mutin.
— C’est ce nabot de Scott Montgomery, dit Price.
— Price, dit Van Patten, tu es un être irremplaçable.
— Attends de me voir bouleversé, dit Price, se retournant. Enfin, aussi bouleversé que je puisse l’être quand je rencontre un type de Géorgie.
McDermott : Ouaouh ! Il nous a fait le grand jeu.
Price : Ouais, C’est effondrant... Je veux dire épatant.
Moi : Diable ! Classe, le bleu marine.
Van Patten, dans un murmure : Très subtil, cet écossais.
Price : Tout beige, hein... Voyez ce que je veux dire.
— Le voilà qui arrive, dis-je, croisant les bras.
Scott Montgomery se dirige vers notre table. Il porte un blazer croisé bleu marine à boutons en imitation écaille de tortue, une chemise de coton froissé à rayures avec des surpiqûres rouges, une cravate de soie Hugo Boss, avec un imprimé feu d’artifice bleu, rouge et blanc, et un pantalon Lazlo en laine prune à quatre pinces et poches à soufflets. Il tient à la main une coupe de Champagne, qu’il tend à la fille qui l’accompagne — le mannequin-type, mince, bons seins, pas de cul, talons hauts — et qui porte une jupe de crêpe de laine et une veste en laine et velours de cachemire avec, sur son bras, le manteau en laine et velours de cachemire, Louis Dell’Olio. Escarpins à talons hauts Susan Bennis Warren Edwards, lunettes de soleil Alain Mikli, sac de cuir Hermès.
— Salut, les gars. Comment ça va ? nasille Montgomery, avec un accent géorgien à couper au couteau. Je vous présente Nicki. Nicki, je te présente McDonald, Van Buren, Bateman — joli, ton bronzage —, et Mr. Price. Il ne serre la main qu’à Timothy, et reprend son verre de Champagne. Nicki sourit poliment, comme un robot. Elle ne parle sans doute pas anglais.
— Alors, Montgomery, demande Price avec une plaisante familiarité, sans quitter Nicki des yeux, comment va la vie ?
— Eh bien, les gars, je vois que vous avez la meilleure table. L’addition est déjà arrivée ? Je plaisante...
— Dis donc, Montgomery, reprend Price, toujours sans quitter Nicki des yeux, et bizarrement aimable envers un type qui, je le croyais, lui était parfaitement étranger, si on se faisait un squash ?
— Appelle-moi, répond Montgomery, l’air absent, laissant son regard errer sur la salle. Ça n’est pas Tyson, là-bas ? Tiens, voilà ma carte.
— Superbe, dit Price, la glissant dans sa poche. Jeudi ?
— Impossible. Je pars demain pour Dallas, mais... Déjà Montgomery s’éloigne, se hâtant vers une autre table. Il claque des doigts en direction de Nicki. « Ouais, la semaine prochaine. »
Nicki me sourit, puis baisse les yeux sur le sol — des carreaux roses, bleus, et vert citron disposés en motifs triangulaires —, comme s’il pouvait lui fournir une réponse, une indication, comme s’il lui suggérait une raison valable au fait d’être coincée avec ce Montgomery. Je me demande vaguement si elle n’est pas plus âgée que lui, puis si elle n’est pas en train de me draguer.
— À plus tard, dit Price.
— À plus, les gars... Montgomery a déjà traversé la moitié de la salle. Nicki se faufile derrière lui. Je me suis trompé : elle a un cul.
— Huit cents millions, siffle McDermott, secouant la tête.
— Quelle université ?
— Une rigolade... laisse tomber Price.
— Rollins ? dis-je.
— Écoutez bien, dit McDermott : Hampden-Sydney.
— C’est un parasite, un looser, un rat, conclut Van Patten.
— Un rat qui pèse huit cents millions, insiste McDermott.
— Vas-y, va lui faire une pipe, à ce nabot, ça te fera taire, dit Price. Je veux dire, comment peux-tu être aussi jobard, McDermott ?
— En tout cas, elle est mignonne, fais-je remarquer.
— Sacré morceau, approuve McDermott.
— Exact, fait Price à contrecœur, hochant la tête.
— Bon Dieu, mais je la connais, cette nana, dit Van Patten d’un air affligé.
— Arrête tes conneries, gémissons-nous d’une seule voix.
— Laisse-moi deviner, dis-je. Tu l’as ramassée au Tunnel, c’est ça ?
— Non. (Il boit une gorgée.) C’est un mannequin. Anorexique, alcoolique, les nerfs à vif. Complètement française.
— N’importe quoi, dis-je, ne sachant pas s’il ment ou non.
— Et alors ? fait McDermott, haussant les épaules. Je me la ferais bien quand même.
— Elle boit un litre de Stoli par jour, elle le rend, et après, elle le reboit, ajoute Van Patten. Un vrai sac à vodka.
— Et à mauvaise vodka, en plus, murmure Price.
— Ça m’est égal, dit crânement McDermott. Elle est belle. Je veux la baiser. Je veux l’épouser. Je veux qu’elle soit la mère de mes enfants.
— C’est pas vrai, dit Van Patten, au bord de la nausée. Comment peut-on vouloir épouser une nana qui accoucherait d’un pichet de vodka à la crème d’airelle ?
— Il n’a pas tort, dis-je.
— Ouais. Il veut aussi s’envoyer en l’air avec la petite Arménienne, au bar, ricane Price. De quoi vat-elle accoucher, celle-là ? D’une bouteille de Korbel et d’un demi-litre de crème de pêche ?
— Mais quelle petite Arménienne ? demande McDermott, exaspéré, se tordant le cou.
— Oh mon Dieu, allez vous faire voir, bande de pédés, soupire Van Patten.
Le maître d’hôtel s’arrête pour saluer McDermott et, s’apercevant que nous n’avons pas nos bellinis offerts par la maison, détale avant que nous n’ayons pu l’arrêter. Je ne sais pas trop comment McDermott a fait pour connaître si bien Alain — peut-être par Cecilia ? —, et cela m’agace légèrement, mais je décide d’intéresser un peu le jeu en leur montrant ma nouvelle carte de visite professionnelle. Je la sors de mon nouveau portefeuille en peau de gazelle (850 $ chez Barney) et la plaque sur la table, attendant les réactions.
— Qu’est-ce qui se passe, on va se faire une ligne ? demande Price, non sans intérêt.
— Ma nouvelle carte. (J’essaie de prendre l’air indifférent, mais ne peux retenir un sourire d’orgueil.) Qu’est-ce que vous en pensez ?
— Ouah ! fait McDermott, prenant la carte et la retournant entre ses doigts, réellement impressionné. Très jolie. Jette un coup d’œil, dit-il, la tendant à Van Patten.
— J’ai été les chercher chez l’imprimeur hier.
— Bien, la couleur, dit Van Patten, examinant la carte de près.
— C’est la teinte ‘‘Os’’, fais-je remarquer. Quant au caractère, il s’appelle ‘‘Silian Rail’’.
— Silian Rail ? répète McDermott.
— Ouais, Pas mal, hein ?
— Elle est très chouette, Bateman, dit Van Patten d’un air circonspect, crevant de jalousie. Mais ça n’est rien... Il tire son portefeuille et plaque une carte sur la table, à côté du cendrier. « Regarde plutôt ça. »
Nous nous penchons tous pour examiner la carte de David. Ça, c’est vraiment superbe, déclare Price, très calme. Un bref spasme de jalousie me traverse quand je note le raffinement de la teinte et la classe des caractères. Je serre les poings, tandis que Van Patten annonce, l’air suffisant : Coquille d’œuf, caractères romains... Il se tourne vers moi :
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— Pas mal, dis-je d’une voix étranglée, réussissant à hocher la tête, tandis que le serveur nous apporte quatre nouveaux bellinis.
— Incroyable, dit Price, élevant la carte à la lumière, feignant d’ignorer le retour des cocktails. C’est vraiment épatant. Comment un crétin comme toi peut-il avoir si bon goût ?
Je regarde la carte de Van Patten, puis la mienne. Je n’arrive pas à croire que Price préfère vraiment celle de Van Patten. Pris de vertige, je bois une gorgée et inspire profondément.
— Mais attendez, dit Price, vous n’avez encore rien vu... Il prend sa carte dans la poche intérieure de sa veste et, lentement, d’un geste théâtral, l’exhibe à nos regards. « La mienne. »
Même moi suis obligé d’admettre qu’elle est somptueuse.
Soudain, devant cette carte, le restaurant paraît s’éloigner, se dissoudre, le bruit se fait lointain, comme un murmure insignifiant. Tous, nous écoutons Price : Caractères en relief, fond pâle nimbé de blanc...
— Putain de merde, fait Van Patten. Je n’ai jamais vu...
— Joli, très joli, dois-je admettre. Mais attendez. Voyons celle de Montgomery.
Price reprend sa carte. Malgré son air décontracté, il ne peut pas ne pas jouir de cette subtile nuance de blanc cassé, de cette épaisseur si distinguée. Je suis pris de court, affligé d’avoir lancé cette histoire.
— Une pizza. On va commander une pizza, déclare McDermott. Personne n’a envie de partager une bonne pizza ? À la daurade ? Mmmmmmm. C’est Bateman qui aimerait ça... dit-il, se frottant les mains.
Je prends la carte de Montgomery et me mets à la tripoter, et cette sensation pénètre délicieusement le bout de mes doigts.
— Pas mal, hein ? Quelque chose dans la voix de Price me dit qu’il a compris que j’étais jaloux.
— Ouais, dis-je, lui tendant la carte avec désinvolture. Cependant, je trouve tout cela dur à avaler.
— Bon, une pizza à la daurade, insiste McDermott. Je crève de faim.
— Pas de pizza, dis-je dans un souffle, soulagé de voir disparaître la carte de Montgomery dans la poche de Timothy, hors de ma vue.
— Allez, gémit McDermott. On commande une pizza à la daurade.
— Silence, Craig, dit Van Patten, matant une serveuse en train de prendre une commande, à une autre table. Appelle plutôt ce petit trésor.
— Ça n’est pas la nôtre, dit McDermott, tripotant le menu qu’il a arraché à un serveur qui passait.
— Appelle-la quand même, insiste Van Patten. Demande-lui de l’eau, une Corona, n’importe quoi.
— Pourquoi elle ? dis-je, sans m’adresser à qui que ce soit en particulier. Ma carte est demeurée sur la table, ignorée, à côté d’une orchidée dans un vase de verre bleuté. Je la ramasse doucement et la range, pliée, dans mon portefeuille.
— C’est le portrait craché de cette fille qui travaille à la boutique Georgette Klinger, chez Bloomingdale, dit Van Patten, Dis-lui de venir par ici.
— Quelqu’un veut-il une pizza, ou pas ? demande McDermott avec humeur.
— Comment sais-tu cela, toi ?
— C’est là que j’achète le parfum de Kate, me répond Van Patten.
D’un geste, Price requiert l’attention : Au fait, j’ai dû oublier de vous dire une chose, à tous ; Montgomery est un minus.
— Qui est Kate ? fais-je.
— Kate, c’est la fille avec qui Van Patten a une histoire, explique Price, fixant de nouveau la table de Montgomery.
— Et qu’est devenue Miss Kittridge ?
— Ouais, fait Price avec un sourire, qu’est-ce que tu fais d’Amanda ?
— Oh, pitié, les gars, réveillez-vous un peu. La fidélité, bon, d’accord...
— Et tu n’as pas peur des maladies ? demande Price.
— Avec qui, Amanda ou Kate ? (Je veux des précisions.)
— Je croyais que nous étions d’accord pour dire qu’on ne pouvait pas en attraper, dit Van Patten, élevant le ton. Boooon, alors, boucle-la,
— Je croyais t’avoir dit que...
Arrivent quatre nouveaux bellinis. Il y en a huit sur la table, à présent.
— Oh, mon Dieu, gémit Price, essayant d’agripper le serveur avant qu’il ne détale.
— Une pizza à la daurade... Une pizza à la daurade... McDermott a trouvé un mantra pour la soirée.
— Bientôt, nous serons persécutés par les petites Iraniennes en chaleur, marmonne Price.
— Mais tu sais, le pourcentage est du genre zéro, zéro, virgule zéro… tu m’écoutes ? demande Van Patten,
— ... Une pizza à la daurade... Une pizza à la daurade... Soudain, McDermott frappe du plat de la main, ébranlant la table, « Nom de Dieu, est-ce que quelqu’un va m’écouter ? »
Je suis toujours sous le choc de la carte de Montgomery — cette teinte si élégante, ces caractères, cette qualité d’impression — et soudain je lève le poing en direction de Craig, et me mets à crier à tue-tête : « Personne n’en veut, de ta putain de pizza à la daurade ! Une pizza doit être gonflée, et légèrement croustillante, avec une croûte gratinée ! Et ici, leur putain de croûte est trop fine, parce que cet enfoiré de cuisinier fait tout trop cuire ! Et la pizza est desséchée, cassante ! » Le sang au visage, je pose violemment mon bellini sur la table, et quand je relève les yeux, les hors-d’œuvre sont arrivés. Une mignonne petite serveuse, immobile, me regarde d’un œil vitreux, avec une expression étrange. Je passe une main sur mon visage et lui fais un sourire affable. Elle reste plantée là, me regardant comme si j’étais une sorte de monstre — elle paraît vraiment effrayée. Je jette un coup d’œil vers Price, peut-être pour qu’il me dise quoi faire. « Les cigares », articulet-il, tapotant la poche de sa veste.
— Je ne les trouve pas cassants, déclare calmement McDermott.
— Ma chérie, dis-je, ignorant McDermott, et je la prends par le bras pour l’attirer vers moi. Elle résiste, mais je lui souris et elle se laisse faire. « Bien, dis-je, nous sommes là pour faire un bon repas, et... »
— Mais ça n’est pas ce que j’ai commandé, dit Van Patten, regardant son assiette. J’ai demandé la saucisse aux moules.
— Tais-toi. Je lui jette un regard meurtrier et me retourne calmement vers la petite serveuse, avec un sourire idiot, mais séduisant. Bien, écoutez, nous sommes de bons clients de la maison, nous commanderons certainement de la fine, ou du cognac, je ne sais pas, et nous avons l’intention de nous détendre et d’apprécier tranquillement ce... — je fais un geste de la main — cette ambiance. Bien... — de l’autre main, je tire mon portefeuille en peau de gazelle — nous aimerions fumer un bon havane après, et nous ne tenons pas à être dérangés par un plouc...
— C’est ça, un plouc, approuve McDermott, hochant la tête vers Van Patten et Price.
— ... de client ou de touriste, une de ces personnes sans éducation, qui se plaindra certainement de notre inoffensive petite manie. Donc... — je fourre dans sa petite main un billet, que j’espère être un billet de cinquante — si vous pouviez faire en sorte que nous ne soyons pas dérangés, nous vous en serions extrêmement reconnaissants. (Je lui caresse la main, la refermant sur le billet.) Et si quelqu’un se plaint, eh bien... virez-le, dis-je d’un air menaçant.
Elle hoche la tête sans mot dire et recule, perplexe, l’air toujours aussi abruti.
— De plus, ajoute Price en souriant, si par hasard une nouvelle tournée de bellinis passe à moins de cinq mètres de cette table, nous mettons le feu au maître d’hôtel. Prévenez-le, d’accord ?
Pendant un long moment, nous contemplons nos hors-d’œuvre en silence. Enfin Van Patten prend la parole :
— Bateman ?
— Oui ? Je pique un morceau de baudroie, le trempe dans le caviar doré, et repose ma fourchette.
— Tu es une pure merveille, ronronne-t-il.
Price a repéré une autre serveuse, qui approche de nous avec un plateau chargé de quatre flûtes à champagne remplies d’un liquide rosâtre. « Oh, ça n’est pas vrai ! Mais cela devient grotesque... » Cependant, elle dépose son plateau à la table voisine, celle des quatre nanas.
— Un sacré morceau, déclare Van Patten, laissant tomber sa saucisse de Saint-Jacques.
— Un vrai petit trésor, pas de problème, approuve McDermott avec un hochement de tête.
— Sans plus, fait Price en reniflant. Regardez ses genoux.
Nous détaillons attentivement la créature et si, de part et d’autre des genoux, les jambes sont longues et bronzées, je suis obligé de constater qu’un de ses genoux, en effet, est plus gros que l’autre. Son genou gauche est plus noueux, imperceptiblement plus épais que le droit, et ce défaut presque invisible gâche l’ensemble. Notre intérêt retombe immédiatement. Van Patten contemple son hors-d’œuvre d’un air ahuri : Ça n’est pas non plus ce que tu as commandé. C’est du sushi, pas du sashimi.
— Oh mon Dieu, soupire Price, on ne vient pas ici pour la cuisine, de toute manière.
Un type qui ressemble trait pour trait à Christopher Lauder se dirige vers notre table et, me gratifiant d’une petite tape sur l’épaule, déclare : « Salut, Hamilton, superbe, ton bronzage », avant de disparaître dans les lavabos.
— Superbe, ton bronzage, Hamilton, fait Price, lançant des tapas sur mon assiette à pain.
— Oh, mince, j’espère que je n’ai pas rougi.
— Mais au fait, où vas-tu, Bateman ? demande Van Patten. Je veux dire, pour ton bronzage.
— C’est vrai, ça, où vas-tu ? répète McDermott, réellement intrigué.
— Que cela reste entre nous : Dans un salon de bronzage, dis-je en chuchotant Comme tout le monde, conclus-je, irrité.
— Moi, j’ai... McDermott fait une pause pour ménager son effet... J’ai un lit bronzant, à la maison. Sur quoi, il mord à belles dents dans sa saucisse de Saint-Jacques.
— Arrête tes conneries, fais-je, suppliant.
— C’est vrai, approuve McDermott, la bouche pleine.
— C’est complètement extravagant, dis-je.
— Pourquoi, complètement extravagant ? demande Price, repoussant les tapas sur le bord de son assiette.
— Sais-tu à combien revient leur putain de carte d’abonnement, dans un institut de bronzage ? me demande Van Patten. Pour un an ?
— Tu es dingue, dis-je entre mes dents.
— Regardez, les gars, dit Van Patten. Bateman est fou de rage.
Apparaît soudain un serveur qui, sans demander si nous avons terminé, emporte nos hors-d’œuvre à peine entamés. Personne ne dit rien, sauf McDermott qui demande : « Il a emporté les hors-d’œuvre ? », et se met à rire bêtement. Voyant que personne d’autre ne rit, il arrête.
— Les portions sont si maigres qu’il a sans doute cru que nous avions terminé, déclare Price d’une voix lasse.
— Vraiment, je trouve ça dingue, cette histoire de lit bronzant, dis-je à Van Patten, bien que, à part moi, je trouve que ce serait là quelque chose de vraiment classe, si j’avais assez de place dans mon appartement, ce qui n’est pas le cas. On peut faire plein de choses avec ça, à part se faire bronzer.
— Avec qui est Paul Owen ? fait la voix de McDermott.
— Une espèce de rat de chez Kicker Peabody, répond Price d’un ton distrait. Lui, il connaissait McCoy.
— Alors, qu’est-ce qu’il fait, installé avec des ringards de chez Drexel ? demande McDermott. Ça n’est pas Spencer Wynn, là-bas ?
— Tu déjantes ou quoi ? fait Price. Ça n’est pas Spencer Wynn.
Je jette un regard vers Paul Owen, assis dans un box, en train de boire du Champagne avec trois autres types — l’un d’eux pourrait bien être Jeff Duval ; bretelles, cheveux plaqués en arrière, lunettes à monture de corne —, et je me demande vaguement comment Owen a fait pour avoir le portefeuille Fisher. Cela ne me met guère en appétit, mais à peine les hors-d’œuvre ont-ils disparu que nos plats arrivent, et nous nous mettons à manger. McDermott défait ses bretelles. Price le traite de plouc. Surmontant ma paralysie, je me détourne de Owen et fixe mon assiette — l’étouffée de saumon en croûte en forme d’hexagone, jaunâtre, entourée de languettes de saumon fumé et d’élégantes arabesques de coulis de petites tomates vertes —, puis je lève les yeux et observe la foule de ceux qui attendent. Ils ont l’air hostile, peut-être ivres de bellinis offerts par la maison, fatigués d’attendre des heures une table merdique près des cuisines, en dépit de leurs réservations. Van Patten brise soudain le silence en posant violemment sa fourchette. Il recule sa chaise.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? dis-je, levant les yeux de mon assiette, la fourchette en suspens, incapable de me décider, comme si j’admirais trop la décoration du plat, comme si ma main était douée d’une volonté propre, et refusait de détruire l’harmonie du dessin. Avec un soupir, je repose ma fourchette, résigné.
— Et merde. Il faut absolument que j’enregistre un film sur le câble, pour Mandy. » Il se lève, s’essuie la bouche avec une serviette. « Je reviens. »
— Tu ne peux pas lui dire de le faire elle-même, espèce d’idiot ? demande Price. Tu es malade, ou quoi ?
— Elle est à Boston, chez son dentiste, répond Van Patten avec un haussement d’épaules résigné.
— Mais qu’est-ce que tu as l’intention de faire ? (Ma voix tremble un peu. Je pense toujours à la carte de Van Patten.) Tu vas appeler HBO ?
— Non. J’ai un téléphone à fréquence sonore relié à un programmateur vidéo Videonic VCR, que j’ai acheté chez Hammacher Schlemmer. Il s’éloigne, remontant ses bretelles.
— Quelle classe, dis-je d’une voix atone.
— Hé, qu’est-ce que tu prends, comme dessert ? lui crie McDermott.
— Un truc au chocolat, et sans farine, répond Van Patten sur le même ton.
— Van Patten a-t-il cessé de s’entraîner ? Il a l’air bouffi, dis-je.
— On dirait bien, n’est-ce pas ? dit Price.
— Il n’est pas abonné au Vertical Club ?
— Je ne sais pas, murmure Price, examinant son assiette. Puis, se redressant, il la repousse et fait signe à la serveuse de lui apporter une autre Finlandia on the rocks.
Une autre petite serveuse s’approche timidement et nous offre une bouteille de Champagne — du Perrier-Jouët, non millésimé — de la part de Mr. Scott Montgomery.
— Du non millésimé, quel rat, siffle Price, se tordant le cou pour trouver la table de Montgomery. Pauvre type. Il lève le pouce en signe de remerciement. « L’enfoiré, il est si petit que j’avais du mal à le voir. Je crois que j’ai fait signe à Conrad, à la place. Je ne suis pas sûr. »
— Où est Conrad ? Je devrais aller le saluer, dis-je.
— C’est l’abruti qui t’a appelé Hamilton, dit Price.
— Ça n’était pas Conrad.
— Tu en es sûr ? Il lui ressemblait drôlement, dit-il, la tête ailleurs, fixant de manière éhontée la petite serveuse qui expose ses seins en se penchant pour assurer sa prise sur le bouchon du Champagne.
— Non, ça n’était pas Conrad, dis-je, surpris que Price ne puisse reconnaître un collègue. Ce type-là avait une meilleure coupe de cheveux.
Nous demeurons silencieux, pendant que la mignonne nous sert le Champagne. Une fois qu’elle est partie, McDermott nous demande si nous avons aimé le repas. Je lui dis que l’étouffée de saumon était bonne, mais qu’il y avait dix fois trop de sauce tomate. McDermott hoche la tête. « C’est ce que j’avais entendu dire », déclare-t-il.
Van Patten réapparaît, grommelant que leurs lavabos sont mal conçus pour y prendre de la coke.
McDermott : Un petit dessert ?
Price, bâillant : Seulement si je peux prendre un sorbet au bellini.
Van Patten : Et si on demandait l’addition ?
Moi : Il est temps de se mettre en chasse, Messieurs.
La mignonne apporte l’addition. 475 $, beaucoup moins que ce à quoi nous nous attendions. Nous partageons, mais comme j’ai besoin de liquide, je paie avec mon AmEx platine et ramasse leurs billets, pour la plupart des billets de cinquante tout neufs. McDermott exige qu’on lui rende dix dollars, car sa saucisse de Saint-Jacques n’en coûtait que seize. On abandonne la bouteille de Champagne de Montgomery sur la table, non entamée. Dehors, un autre mendiant est installé devant chez Pastels, avec une pancarte complètement illisible. Aimablement, il nous demande un peu de monnaie, puis, avec plus de conviction, quelque chose à manger.
— Ce pauvre type a vraiment besoin d’un masque désincrustant, dis-je.
— Hé, McDermott, lance-lui ta cravate, glousse Price.
— Oh, merde, qu’est-ce qu’il en fera ? dis-je, les yeux rivés sur le mendiant.
— Il pourra aller prendre un hors-d’œuvre chez Jams, dit Van Patten, hilare. Nous échangeons une grande claque.
— Pauvres types, dit McDermott, examinant sa cravate, visiblement froissé.
— Oh, désolé... Taxi ! fait Price, faisant signe à une voiture... Un hors-d’œuvre et une boisson.
— Au Tunnel, dit McDermott au chauffeur.
— Super, McDermott, fait Price, prenant place à l’avant. Tu m’as l’air drôlement excité.
— Je n’y peux rien, si je ne suis pas une espèce de pédé décadent et complètement usé, comme toi, répond McDermott, passant devant moi.
— Saviez-vous que les hommes des cavernes avaient plus de muscles que nous ? demande Price au chauffeur.
— Hé, je l’ai déjà entendue, celle-là, dit McDermott.
— Van Patten, dis-je, as-tu vu la bouteille de champ’que Montgomery nous a fait porter ?
— C’est vrai ? demande Van Patten, se penchant au-dessus de McDermott. Laisse-moi deviner. Du Perrier-Jouët ?
— Super banco, dit Price. Non millésimé.
— Quel putain de rat, conclut Van Patten.
AU TUNNEL
Ce soir, pour une raison quelconque, tous les hommes qui attendent devant le Tunnel portent un smoking, à part un clochard entre deux âges, assis à côté d’une benne à ordures, à un mètre à peine de la file, tendant un gobelet en plastique à qui voudra bien lui prêter attention, quémandant un peu de monnaie, et comme Price nous fait contourner la foule, se dirigeant droit vers un des portiers, Van Patten lui agite sous le nez un billet de un dollar tout craquant, et le visage du mendiant s’illumine un bref instant, puis Van Patten rempoche le billet tandis que nous nous engouffrons dans la boîte où l’on nous donne une douzaine de tickets de boisson et deux laissez-passer de VIP pour le club privé. Une fois entrés, nous sommes vaguement tourmentés par deux autres portiers — longs manteaux de laine, queue de cheval, des Allemands probablement — qui veulent absolument savoir pourquoi nous ne portons pas de smoking. Price règle cependant le problème en douceur, soit en jouant de son influence, soit en graissant la patte des loufiats (ce qui est le plus probable). Me désintéressant de tout cela, je lui tourne le dos et essaie d’écouter McDermott qui explique à Van Patten que je suis dingue de critiquer les pizzas de Pastels, mais il est difficile de comprendre quoi que ce soit, avec la sono qui braille I Feel Free, la version de Belinda Carlisle. J’ai un couteau à scie dans la poche de ma veste Valentino, et je suis un instant tenté d’éventrer McDermott, là, dans l’entrée de la boîte, ou de lui trancher le visage, peut-être, ou de lui disloquer la colonne vertébrale ; mais Price nous fait signe d’entrer, et la tentation de tuer McDermott est remplacée par cette singulière avidité à prendre du bon temps, boire du Champagne, flirter avec une mignonne, peut-être trouver un peu de dope, ou même danser sur des vieux tubes, ou sur cette dernière chanson de Janet Jackson, celle que j’aime tant.
Je me calme un peu tandis que nous pénétrons dans le hall, nous dirigeant vers l’entrée proprement dite. Nous croisons trois créatures. L’une porte une veste de laine noire à col échancré et boutonnage de côté, un pantalon de crêpe de laine et un col roulé de cashmere moulant, Oscar de la Renta ; l’autre porte un manteau croisé de laine, mohair et tweed synthétique, pour aller avec un pantalon genre jean et une chemise d’homme, en coton, Stephen Sprousse ; la troisième, la plus élégante, porte une veste de laine à carreaux et une jupe de laine à taille haute de chez Barney, sur un chemisier de soie Andra Gabrielle. Elles nous repèrent très nettement et nous leur rendons la politesse en nous retournant sur elles — sauf Price, qui les ignore et lâche une grossièreté.
— Alors, Price, réveille-toi ! gémit McDermott. Qu’est-ce qui ne va pas ? Ces filles étaient vraiment au poil.
— Oui, si tu parles espingouin, dit Price, lui tendant deux tickets de boisson, comme pour l’apaiser.
— Quoi ? fait Van Patten. Je n’ai pas eu l’impression que c’étaient des Espagnoles.
— Tu sais, Price, il va falloir que tu changes d’attitude, si tu veux finir la soirée au pieu, dit McDermott.
— C’est toi qui me parles de finir la soirée au pieu ? Toi, qui as tout juste réussi à te faire branler, l’autre soir ?
— Tu es parfaitement puant, Price, déclare McDermott.
— Écoutez, vous croyez peut-être que j’ai le même comportement qu’avec vous, les gars, quand je suis sur un coup ? demande Price d’un ton de défi.
— Ouais, le même, répondent d’une seule voix McDermott et Van Patten.
— Vous savez, dis-je, il arrive que l’on prenne une attitude contraire à ce que l’on ressent vraiment, quand il s’agit de sexe, les enfants. J’espère que je ne saccage pas ta candeur retrouvée, McDermott. Je presse le pas pour me maintenir à la hauteur de Tim.
— Non, mais cela n’explique pas pourquoi Tim se comporte comme un connard de première, dit McDermott, tentant de me rattraper.
— Comme si ces filles en avaient quelque chose à faire, ricane Price. Quand je leur dis combien je gagne par an, mon comportement n’a plus aucune importance, crois-moi.
— Et comment fais-tu passer l’information ? demande Van Patten. Tu dis : Tenez, prenez donc une Corona et, au fait, je me fais cent quatre-vingt mille par an, et vous, quel est votre signe ?
— Cent quatre-vingt-dix, corrige Price. Ouais, c’est ce que je fais. La subtilité, ça n’est pas leur truc, à ces filles-là.
— Et c’est quoi, leur truc, ô grand sage ? demande McDermott, s’inclinant légèrement tout en marchant.
Cela fait rire Van Patten. Ils échangent une grande claque.
— Hé, dis-je, riant aussi, si tu le savais, tu ne poserais pas la question.
— Leur truc, c’est un type bien foutu, qui puisse les emmener au Cirque deux fois par semaine, et les faire entrer au Nell’s quand elles en ont envie. Éventuellement, leur faire rencontrer Donald Trump, dit Price d’un ton catégorique.
Nous tendons nos tickets à une fille potable, vêtue d’un duffle-coat de laine, avec un carré Hermès. Elle nous fait entrer et Price lui lance un clin d’œil, tandis que McDermott déclare : Dès que je mets les pieds dans cette boîte, je commence à m’angoisser, à propos des maladies. Il y a des nanas pourries, ici. Je le sens.
— Je t’ai déjà dit, espèce de cloche, que nous ne pouvons pas attraper ça, dit McDermott, répétant patiemment la leçon. Les probabilités sont du style zéro, virgule zéro, zéro, zéro...
Par chance, sa voix se perd dans la version longue de New Sensation, de INXS. La musique est si forte qu’on est obligé de hurler pour se faire entendre. La boîte est plutôt bondée ; la seule véritable lumière émane du sol, par saccades. Tout le monde est en smoking. Tout le monde boit du Champagne. Comme nous n’avons que deux laissez-passer VIP pour le club privé, Price les fourre dans la main de McDermott et de Van Patten, qui s’empressent de faire signe au type posté en haut de l’escalier. Il les fait entrer. Il porte un smoking croisé en laine, une chemise à col cassé en coton Cerruti 1881, et un nœud papillon de soie à damier noir et blanc de chez Martin Dingman Neckwear.
— Hé, fais-je, pourquoi ne les avons-nous pas gardés pour nous ?
— Parce que nous, répond-il en hurlant lui aussi pour couvrir le bruit de la musique, il faut qu’on trouve de la Poudre Miraculeuse de Bolivie...
Je le suis tandis qu’il s’engouffre dans l’étroit corridor qui longe la piste de danse, puis au travers du bar, et enfin dans le Chandelier Room, où pullulent les types de chez Drexel, de chez Lehman, de Kidder Peabody, de la First Boston, de Morgan Stanley, de Rothschild, de chez Goldman, et même de Citybank, nom de Dieu, tous en smoking, tenant tous à la main une flûte de Champagne, et sans le moindre effort, comme si c’était la même chanson, New Sensation s’infiltre dans The Devil Inside et Price aperçoit Ted Madison, appuyé contre la rambarde, au fond de la pièce, vêtu d’un smoking croisé en laine, d’une chemise à col cassé Paul Smith, avec un nœud papillon et une ceinture de smoking de chez Rainbow Neckwear, des boutons de manchette Trianon en diamant, des escarpins de cuir et gros-grain Ferragamo, et une montre ancienne, Hamilton, de chez Saks ; derrière Madison, s’enfonçant dans la pénombre, les deux rails de chemin de fer, ce soir violemment illuminés de vert cru et de rose. Price s’arrête tout à coup, regarde au loin, derrière Ted, qui sourit en apercevant Timothy, tandis que Price contemple les rails d’un air rêveur, comme s’ils représentaient une sorte de liberté, comme s’ils incarnaient une fuite possible, l’évasion qu’il recherche, mais je lui crie : « Hé, voilà Teddy ! », et il se reprend, secoue la tête comme pour reprendre ses esprits, reporte son regard sur Madison et s’écrie d’un ton sans réplique : « Non, ça n’est pas Madison, pour l’amour de Dieu, c’est Turnball ! », tandis que celui que je pensais être Madison est salué par deux autres types en smoking et nous tourne le dos, et que soudain, derrière Price, surgit Ebersol qui lui passe un bras autour du cou et feint de l’étrangler, mais Price repousse son bras, et lui serre la main en disant : Salut, Madison.
Madison, que je pensais être Ebersol, porte une magnifique veste croisée Hackett of London en lin blanc, de chez Bergdorf Goodman. D’une main, il tient un cigare non allumé, et de l’autre, une coupe de Champagne à moitié pleine.
— Mr. Price ! crie Madison. Quel plaisir de vous rencontrer, cher ami.
— Madison, crie Price en retour, on a besoin de tes services.
— Pourquoi, vous cherchez les ennuis ? fait Madison, souriant.
— Quelque chose de plus... urgent, crie Price.
— Bien sûr, crie Madison, puis, je ne sais pourquoi, il me fait un petit signe de tête cordial et me crie : Bateman, superbe, ton bronzage. Du moins c’est ce que je crois comprendre.
Derrière Madison se tient un type qui ressemble beaucoup à Ted Dreyer. Il porte un smoking croisé à col-châle, une chemise de coton et un nœud papillon écossais, Polo par Ralph Lauren, j’en suis à peu près certain. Madison reste là, à saluer diverses têtes qui passent parmi la foule.
Price finit par perdre patience. « Écoute, on cherche de la dope », crie-t-il, du moins c’est ce que je crois comprendre.
— Du calme, Price, du calme, crie Madison. Je vais voir avec Ricardo.
Mais il reste là, saluant les têtes qui se pressent dans la cohue.
— Pourquoi pas tout de suite ? hurle Price.
— Pourquoi ne portes-tu pas de smoking ? crie Madison.
— On en prend combien ? me demande Price, éperdu.
— Un gramme, ce sera bien. Il faut que je sois au bureau tôt, demain.
— Tu as du liquide ?
Incapable de mentir, je fais un signe de tête et lui tends quarante dollars.
— Un gramme ! crie Price à Ted.
— Tenez, dit Madison, nous présentant son ami, je vous présente Il y a.
— Un gramme, fait Price, fourrant l’argent dans la main de Madison. Il y a ? Il y a quoi ?
Madison et Il y a sourient, et Ted lance un nom qui m’échappe,
— Non, crie Madison, Illya ! C’est du moins ce que je crois comprendre.
— Ah, ouais. Enchanté, Illya. Price lève le poignet, tapote sa Rolex en or de l’index.
— Je reviens tout de suite, crie Madison. Tenez compagnie à mon ami, Buvez un verre. Il disparaît. Illya, il y a, qui que ce soit, se fond dans la cohue. Je suis Price jusqu’à la rambarde du fond.
Je voudrais allumer mon cigare, mais je n’ai pas d’allumettes ; cependant, le simple fait de le tenir, de jouir de son parfum, tout en sachant que la drogue va arriver, me fait du bien, et je demande deux tickets à Price pour lui offrir une Finlandia on the rocks. Pas de Finlandia, me fait savoir la mignonne derrière le bar, l’air mauvais, mais elle est tellement bien roulée, elle a l’air si chaude, que je lui laisserai un gros pourboire malgré tout. Je me décide pour une Absolut pour Price, et un J&B on the rocks pour moi. Je songe un moment à lui apporter un bellini, pour plaisanter, mais ce soir, il paraît beaucoup trop sur les nerfs pour apprécier, et je le rejoins péniblement dans la cohue et lui tends son Absolut, qu’il prend sans un mot de remerciement et vide d’un trait. Il regarde le verre, fait la grimace, et me jette un regard accusateur. Je hausse les épaules. Il se remet à contempler les rails de chemin de fer, comme fasciné. Les filles sont rares au Tunnel, ce soir.
— Je sors avec Courtney, demain soir, dis-je.
— Avec Courtney ? fait-il. Super. Malgré le bruit, je perçois le sarcasme.
— Eh alors, pourquoi pas ? Carruthers n’est pas en ville,
— Autant louer une fille dans une agence d’escortes, crie-t-il d’une voix mordante, l’air ailleurs.
— Pourquoi ?
— Parce que cela va te coûter beaucoup plus cher pour tirer un coup.
— Pas question !
— Écoute, moi aussi, j’en passe par là, crie Price, agitant doucement son verre. Les glaçons tintent avec un bruit qui me surprend. « Meredith est pareille. Elle s’attend à ce qu’on paye. Elles sont toutes pareilles. »
— Price ? Je bois une grande gorgée de scotch. Tu es irremplaçable.
Il fait un geste derrière lui. « Où vont ces rails ? » Des lasers commencent à fulgurer.
— Je ne sais pas, dis-je au bout d’un long, long moment. J’en ai assez de regarder Price qui ne bouge pas, ne dit rien. Quand par hasard il se détourne des rails, c’est pour chercher des yeux Madison ou Ricardo. Pas une seule femme. Une armée de types de Wall Street en smoking. Si, une femme : elle danse toute seule dans un coin, sur une chanson — Love Triangle, je crois. Elle porte ce qui me semble être un débardeur pailleté Ronaldus Shamask, et je tente de fixer mon attention sur elle, mais je suis dans cet état d’excitation qui précède l’arrivée de la coke, et je me mets à mordiller nerveusement un ticket de boisson, tandis qu’un type de Wall Street, qui ressemble à Boris Cunningham, s’interpose entre la fille et moi, me bouchant la vue. Je suis sur le point de filer au bar quand Madison réapparaît — il a mis vingt minutes —, reniflant bruyamment et, avec un grand sourire crispé, figé, serre la main de Price qui, en sueur, l’air tendu, s’éloigne si vite que lorsque Ted fait mine de lui donner une grande claque amicale dans le dos, sa main ne rencontre que le vide.
Je suis Price, traversant le bar, la piste de danse du sous-sol puis, à l’étage, le long couloir où s’alignent les lavabos pour dames, ce qui paraît curieux, puisqu’il n’y a pas de femme dans la boîte, ce soir, et une fois dans les lavabos des hommes, qui sont déserts, Price et moi nous glissons ensemble dans un des compartiments. Il verrouille la porte.
— Je tremble, dit Price, me tendant la petite enveloppe. Ouvre-la.
Je la prends et défais avec précaution les bords du petit paquet blanc, exposant le prétendu gramme — on dirait qu’il y en a moins — à la lumière fluorescente des lavabos.
— Eh bien, murmure Price d’une voix étonnamment douce, ça ne fait pas lourd, n’est-ce pas ? Il se penche pour examiner la poudre.
— C’est peut-être la lumière qui fait ça, dis-je.
— Qu’est-ce qu’il branle, ce Ricardo ? fait Price, le regard rivé sur la coke.
— Ccchhhht... Je sors ma carte American Express platine. Allons-y, dis-je.
— Il la vend au milligramme, ou quoi ? demande Price. Il trempe le bord de sa carte dans la poudre et la porte à son nez, inspire. Il demeure un instant silencieux. « La vache », fait-il enfin d’une voix entrecoupée, caverneuse.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est un milligramme de... saccharine, dit-il, le souffle court.
J’en prends aussi, et arrive à la même conclusion.
— Elle est légère, c’est sûr, mais je crois qu’en en prenant assez, ça ira... Mais Price est furieux. Son visage est rouge, il est en sueur ; il se met à crier comme si c’était ma faute, comme si c’était moi qui avais voulu acheter de la poudre à Madison.
— Je veux me défoncer avec ça, Bateman, dit-il lentement, haussant le ton, et non pas m’en servir pour sucrer mon café !
— C’est vrai, tu peux toujours essayer dans ton café au lait, fait une voix efféminée, dans le compartiment voisin.
Price me regarde, les yeux ronds, incrédule, puis, pris de rage, il se détourne et donne un grand coup de poing dans la cloison.
— Calme-toi, dis-je. On s’en fiche, on y va.
Price se retourne vers moi, passe une main sur ses cheveux cartonnés, plaqués en arrière, et semble se détendre. « Tu as sans doute raison. Enfin, ajoute-t-il, élevant la voix, si le pédé d’à côté n’y voit rien à redire. »
Nous attendons un quelconque signe de vie. Enfin, la voix susurre : Pas de problème...
— Va te faire enculer ! rugit Price.
— Va te faire enculer, répète la voix.
— Non, toi, va te faire enculer, hurle Price, essayant d’escalader la cloison d’aluminium, mais d’une main je le retiens, et à côté la chasse d’eau se fait entendre, tandis que l’inconnu sort des lavabos, de toute évidence très énervé. Price se laisse aller contre la porte de notre compartiment et me regarde fixement, accablé. Il passe une main tremblante sur son visage cramoisi, les paupières serrées, les lèvres blanches, avec d’infimes traces de cocaïne sous une narine, puis déclare calmement, les yeux toujours fermés : Très bien. Allons-y.
— Bien. C’est pour ça que nous sommes là, dis-je. À tour de rôle, nous trempons nos cartes dans l’enveloppe puis, quand il n’y a plus assez de poudre, le bout de nos doigts, que nous reniflons, léchons, frottons sur nos gencives. Je suis loin, très loin d’être défoncé, mais un J&B supplémentaire pourra peut-être donner l’illusion du coup de fouet espéré, si léger soit-il.
En sortant du compartiment, nous nous lavons les mains, examinant notre reflet dans le miroir et, une fois satisfaits, retournons au Chandelier Room. Je commence à regretter de ne pas avoir laissé mon pardessus (Armani) au vestiaire, mais quoi qu’en dise Price, je me sens assez euphorique, et bientôt, tandis que je me tiens au bar, essayant d’attirer l’attention de la mignonne, cela cesse d’avoir la moindre importance. Bien qu’il me reste une quantité de tickets, je finis par poser un billet de vingt sur le comptoir, espérant qu’elle daignera m’apercevoir. Cela marche. Comptant sur mes tickets de boisson, je commande deux doubles Stoli on the rocks. Elle les verse devant moi.
Je me sens bien maintenant, et je lui crie : Hé, vous n’allez pas à la New York University ?
Elle secoue la tête, sans sourire.
Je crie : À Hunter ?
Derechef, elle secoue la tête. Pas Hunter non plus.
Je crie : Columbia ? — mais c’est une plaisanterie.
Elle fixe son attention sur la bouteille de Stoli. Je décide de ne pas prolonger la conversation, et plaque les tickets sur le comptoir, tandis qu’elle pose les deux verres devant moi. Mais elle secoue la tête, et crie : « Il est plus de onze heures. On ne les prend plus. Il faut payer en liquide. Ça fera vingt-cinq dollars. » Sans protester, l’air totalement détaché, je tire mon portefeuille en peau de gazelle et lui tends un billet de cinquante qu’elle regarde avec dédain, j’en jurerais, et, soupirant, se tourne vers la caisse pour me rendre la monnaie. Sans la quitter des yeux, je dis très clairement (mais ma voix se perd dans Pump up the Volume et dans le bruit de la foule) : « Tu es une immonde salope et je voudrais te crever la peau et faire joujou avec ton sang. » Je souris néanmoins. Je ne laisse pas de pourboire à cette connasse, et retrouve Price, qui a rejoint la rambarde et demeure là, morose, les mains agrippées aux barres d’acier. Paul Owen, qui gère le portefeuille Fisher, et porte un smoking de laine croisé à six boutons, se tient près de lui, criant : « J’ai compté cinq cents actions de retrait d’escompte sur un PC ICM... pris un taxi pour aller chez Smith et Wollensky. » C’est du moins ce que je crois comprendre.
Je tends le verre à Price, adresse un signe de tête à Paul. Price ne dit rien, pas même merci. Il se contente de prendre le verre, sans quitter les rails des yeux, l’air sombre, puis, avec un regard de biais, baisse la tête sur son verre ; comme les éclats de lumière recommencent à fulgurer, il se redresse et murmure quelque chose pour lui-même.
— Tu n’es pas défoncé ? dis-je.
— Comment ça va ? me crie Owen.
— On ne peut mieux, dis-je.
La musique n’est qu’une suite de chansons interminables, qui se recouvrent les unes les autres, chaque morceau lié au suivant par le martèlement incessant du rythme. Toute conversation est impossible ce qui, quand je dois parler avec un rat comme Owen, me convient parfaitement. À présent, on dirait qu’il y a un peu plus de filles dans le Chandelier Room, et j’essaie de croiser le regard de l’une d’elles — le genre mannequin, avec de gros nénés. Price me pousse du coude, et je me penche pour lui demander si nous n’en prendrions pas un autre gramme, éventuellement.
— Pourquoi ne portes-tu pas de smoking ? fait la voix de Owen, dans mon dos.
— Je laisse tomber, crie Price, je fous le camp.
— Tu laisses tomber quoi ? fais-je sur le même ton, ahuri.
— Ça ! crie-t-il, faisant allusion à sa double Stoli, c’est du moins ce que je crois comprendre.
— Arrête, je la boirai.
— Écoute, Patrick, hurle-t-il, je pars.
— Où ? (Je n’y comprends vraiment rien.) Tu veux que je trouve Ricardo ?
— Je pars, crie-t-il. Je... pars !
Je me mets à rire, sans comprendre ce qu’il veut dire. « Mais où veux-tu aller ? »
— Ailleurs !
— Arrête ! Tu veux entrer dans une banque d’affaires ?
— Non, Bateman. Je suis sérieux, espèce d’abruti. Je pars. Je disparais.
— Mais où ? Je ne comprends rien, je ris, je crie : chez Morgan Stanley ? En recyclage ? Quoi ?
Il détourne les yeux sans répondre, continue de regarder fixement au-delà des rails, essayant d’apercevoir le point ou ils s’arrêtent, ce qui se dissimule par-delà l’obscurité. Il devient pénible, mais Owen me semble pire encore, et j’ai déjà croisé accidentellement son regard de rat.
— Dis-lui de ne pas s’inquiéter, que tout baigne, crie Owen.
— Tu t’occupes toujours du portefeuille Fisher ? Que lui dire d’autre ?
— Quoi ? fait Owen. Attends, ça n’est pas Conrad ?
Il désigne un type debout près du bar, exactement sous le lustre, vêtu d’un smoking non croisé, à col châle, chemise de coton et nœud papillon, Pierre Cardin, tenant à la main une coupe de Champagne et en train d’examiner ses ongles. Owen sort un cigare et demande du feu. Comme je m’ennuie, je me dirige vers le bar sans m’excuser, et dis à la mignonne qu’il me faudrait juste des allumettes. Le Chandelier Room est bondé. Tout le monde semble se connaître, et tout le monde ressemble à tout le monde. La fumée des cigares flotte en une nappe épaisse, et la musique, INXS de nouveau, hurle plus que jamais, on ne sait pas où cela va s’arrêter. Je touche mon front par mégarde, et mes doigts sont mouillés. Je prends des allumettes au bar. En revenant, je me heurte dans la foule à McDermott et Van Patten, qui commencent à me tanner pour que je leur donne des tickets de bar. Sachant qu’ils ne sont plus valables, je les leur tends, mais nous sommes bloqués ensemble au milieu de la salle, et les tickets ne suffisent pas à les persuader d’affronter la dangereuse expédition jusqu’au bar.
— Pourries, ces nanas, dit Van Patten. Attention, pas touche.
— C’est infect, au sous-sol, crie McDermott.
— Vous avez trouvé de la dope ? crie Van Patten. On a vu Ricardo.
— Non. Rien du tout. Madison n’a rien trouvé.
— Service ! Service, attention ! crie un type derrière moi.
— Pas la peine. Je n’entends rien.
— Quoi ? crie Van Patten. Je n’entends rien !
Tout à coup, McDermott me saisit par le bras : Mais qu’est-ce qu’il fait, cet enfoiré de Price ? Regarde.
Comme dans un film, je me retourne péniblement, et me dresse sur la pointe des pieds, pour apercevoir Price, debout en équilibre sur la rambarde. Quelqu’un lui a tendu une flûte de Champagne et, ivre ou défoncé, il tend les bras, les yeux fermés, comme s’il bénissait la foule. Derrière lui, les flashes de lumière éclatent et s’éteignent, encore et encore, et le fumigène, déchaîné, l’enveloppe d’un flot de fumée grise. Il crie quelque chose que je ne comprends pas — la salle est bondée au-delà du possible, le vacarme assourdissant, un mélange de Party All the Time par Eddie Murphy et de conversations incessantes — et je me fraie un passage, les yeux rivés sur Price, réussissant à dépasser Madison et Illya et Turnball et Cunningham, et quelques autres. Mais la foule est trop dense, ce n’est même pas la peine d’essayer. Seuls quelques visages se tournent vers Tim, toujours en équilibre sur la rambarde, les yeux mi-clos, criant quelque chose. Gêné, je suis soudain content d’être bloqué par la foule, incapable de l’atteindre, de le sauver d’une humiliation presque certaine, et dans une seconde de silence parfaitement programmée, j’entends la voix de Price : « Adieu ! » La foule lève enfin les yeux. « Têtes de nœuds ! » Puis il se détourne avec grâce, saute sur les rails et se met à courir, secouant la flûte de Champagne qu’il tient contre son flanc. Il trébuche une fois, deux fois, paraissant bouger lentement dans l’éclat des stroboscopes, mais parvient à reprendre pied, avant de disparaître dans l’obscurité. Un type de la sécurité demeure tranquillement appuyé à la rambarde, tandis que Price s’éloigne dans le noir. Je crois qu’il secoue vaguement la tête.
— Price, reviens ! J’ai crié, mais la foule, elle, applaudit l’exploit. « Price ! » Je crie de nouveau, au-delà des bravos. Mais il est parti, et il y a peu de chances pour que, même s’il m’entendait, cela change quoi que ce soit. Madison est à côté de moi. Il me tend la main, comme pour me féliciter : C’est vraiment un drôle de numéro.
McDermott arrive derrière moi. Il me tire par l’épaule. « Price connaît-il un club privé que nous ne connaissons pas ? » demande-t-il, inquiet.
Nous sommes dehors, à présent, et je suis défoncé, mais très fatigué, et, curieusement, j’ai un goût de NutraSweet dans la bouche, même après deux autres Stoli et un demi J&B. Minuit et demi. Nous observons les limousines qui tentent de tourner à gauche vers la West Side Highway. Van Patten, McDermott et moi discutons l’éventualité de chercher cette nouvelle boîte appelée Nekenieh. Je ne suis pas vraiment défoncé. Un peu ivre, plutôt.
Moi : On déjeune ensemble ? Demain ?
McDermott : Impossible. Rendez-vous chez le coiffeur de l’hôtel Pierre.
Van Patten : Négatif. Moi, c’est chez Gio. Manucure.
Moi, examinant ma main : Ça me fait penser qu’il faut aussi que j‘y aille.
McDermott : Pour dîner ?
Moi : J’ai un rancard. Merde.
McDermott, à Van Patten : Et toi ?
Van Patten : Impossible. Je dois aller chez Sunmakers. Et après, musculation.
AU BUREAU
Dans l’ascenseur, Frederick Dibble me parle d’un article qu’il a lu dans Page Six, ou quelque autre rubrique de potins, à propos de Ivana Trump, puis de ce nouveau restaurant italo-thaï dans l’Upper East Side, où il est allé hier soir avec Emily Hamilton, et commence à délirer sur leur fabuleux fusilli shiitake. J’ai sorti un Cross en or pour noter le nom de l’endroit dans mon calepin. Dibble porte un costume croisé Canali Milano en laine subtilement rayé, une chemise de coton Bill Blass, une cravate de soie tissée à minuscule motif écossais, Bill Blass Signature. Il tient sur son bras un imperméable Missoni Uomo, sa coupe de cheveux est excellente, chère, et je la contemple avec admiration, tandis qu’il fredonne la chanson que diffuse le haut-parleur — peut-être une quelconque version de Sympathy for the Devil —, comme dans tous les ascenseurs de l’immeuble où sont situés nos bureaux. Je m’apprête à demander à Dibble s’il a regardé le Patty Winters Show ce matin — le thème en était l’autisme — mais il s’arrête à l’étage au-dessous du mien, et me rappelle le nom du restaurant, ‘‘Thaïdialono’’. « À plus tard, Marcus », me lance-t-il avant de sortir de l’ascenseur. La porte se referme. Je porte un costume Hugo Boss en laine pied-de-coq avec pantalon à pinces, une cravate de soie, Hugo Boss également, une chemise en popeline de coton Joseph Abboud et une paire de Brooks Brothers. J’ai abusé du fil dentaire, ce matin, et j’ai encore au fond de la gorge l’arrière-goût cuivré du sang. Après, j’ai utilisé de la Listerine, et ma bouche est en feu, mais je parviens à ne sourire à personne en sortant de l’ascenseur, frôlant Wittenborn avec sa gueule de bois, balançant mon nouvel attaché-case de cuir noir Bottega Veneta.
Jean, ma secrétaire, qui est amoureuse de moi, et que je finirai probablement par épouser, est assise à son bureau et porte ce matin, pour attirer mon attention, comme d’habitude, des vêtements d’un prix extravagant, et d’une totale incongruité ; cardigan Chanel en cashmere, pull ras-du-cou et écharpe de cashmere, boucles d’oreilles en fausses perles, pantalon en crêpe de laine Barney’s. J’ôte le walkman accroché autour de mon cou et m’approche de son bureau. Elle lève les yeux, avec un sourire timide.
— En retard ? fait-elle.
— Mon cours d’aérobic, désolé, dis-je, décontracté. Des messages ?
— Ricky Hendricks se décommande pour aujourd’hui. Il n’a pas dit ce qu’il décommandait, ni pourquoi.
— Il m’arrive de faire quelques rounds avec lui, au Harvard Club. Rien d’autre ?
— Et... Spencer voudrait vous voir pour prendre un verre, au Fluties Pier 17, dit-elle avec un sourire.
— Quand ?
— Après six heures.
— Impossible, dis-je, et je me dirige vers mon bureau. Annulez.
Elle se lève et y pénètre derrière moi. « Ah bon ? Et que dois-je lui dire ? », demande-t-elle, amusée.
— Dites-lui simplement que... que c’est non, dis-je, ôtant mon pardessus Armani et l’accrochant au porte-manteau dessiné par Alex Loeb que j’ai acheté chez Bloomingdale.
— Je lui dis simplement que... non ? répète-t-elle.
— Avez-vous regardé le Patty Winters Show, ce matin ? Sur l’autisme ?
— Non. Elle sourit, comme si ma passion pour le Patty Winters Show la ravissait, pour une quelconque raison. « Comment était-ce ? »
Je ramasse le Wall Street Journal du matin et jette un coup d’œil sur la première page. Ce n’est qu’une grande tache de caractères brouillés, sans signification. « Je devais être en pleine hallucination, pendant l’émission. Je ne sais pas, je suis pas bien sûr. Je ne me souviens pas », dis-je entre mes dents, reposant le journal pour prendre le Financial Times. « Vraiment, je ne sais plus. » Elle reste là, immobile, attendant les ordres. Avec un soupir, je m’assois, les mains jointes, derrière mon bureau Palazetti avec, de part et d’autre, les deux lampes halogènes déjà allumées. « Très bien, Jean. Il me faut une réservation pour trois chez Camols pour midi et demi. Sinon, essayez Crayons. D’accord ? »
— Bien, Monsieur, dit-elle d’une voix contrefaite, et elle se détourne.
— Oh, attendez, dis-je, me souvenant de quelque chose. Il me faudrait aussi une réservation pour deux à l’Arcadia, pour ce soir, huit heures.
Elle se retourne, le visage imperceptiblement défait, mais souriant toujours.
— Oh... Il y a de la romance dans l’air ?
— Mais non, idiote. Laissez tomber. Je m’en occuperai moi-même. Merci.
— Non, je vais le faire, dit-elle.
— Non, non, dis-je, avec un geste de dénégation. Soyez un amour, allez me chercher un Perrier, d’accord ?
— Vous avez une bonne tête, aujourd’hui, dit-elle avant de s’éloigner.
Elle a raison, et je ne réponds rien, je reste là à contempler la toile de George Stubbs accrochée au mur en face, me demandant si je ne devrais pas la déplacer, si elle n’est pas en fait trop près du tuner stéréo AM/FM Aiwa, du double lecteur de cassettes, de la platine semi-automatique, de l’équalizer graphique et des baffles miniatures, le tout d’un bleu crépusculaire, pour aller avec la teinte dominante du bureau. Le tableau de Stubbs serait probablement plus à sa place dans l’angle, au-dessus du Doberman grandeur nature (700 $ chez Beauty and the Beast, dans la Trump Tower), ou peut-être au-dessus de la table ancienne de Pacrizinni, à côté du Doberman. Je me lève et déplace toutes les revues de sport des années quarante — trente balles pièce — que j’ai achetées chez Funchies, chez Bunkers, chez Gaks et chez Gleeks, puis je décroche la toile de Stubbs et la pose en équilibre sur la table. Je me rassois à mon bureau, tripote machinalement les stylos rangés dans une authentique chope à bière allemande que j’ai trouvée chez Man-tiques. Le Stubbs est parfait aux deux endroits. Une réédition d’un porte-parapluies Black Forrest (675 $ chez Hubert des Forges) est posée dans un autre angle, sans le moindre parapluie, comme je m’en aperçois tout à coup.
Je mets une cassette de Paul Butterfield dans l’appareil, me renverse dans mon fauteuil derrière le bureau, et feuillette le Sports Illustrated de la semaine dernière, mais je n’arrive pas à me concentrer. Je ne cesse de penser à ce putain de lit bronzant que Van Patten a chez lui. Sans réfléchir, je décroche le téléphone et appelle Jean.
— Oui ?
— Jean, écoutez, prévenez-moi, si vous entendez parler d’un lit bronzant, d’accord ?
— Quoi ? fait-elle, incrédule, j’en suis certain — mais souriant toujours, c’est probable.
— Vous savez... Un lit bronzant, quoi... Un lit... pour bronzer.
— Très bien... fait-elle d’une voix hésitante. Rien d’autre ?
— Ah, oui, merde. Faites-moi penser à rapporter au magasin les cassettes vidéo que j’ai louées hier soir. Tout en parlant, j’ouvre et je referme le coffret à cigares en argent massif posé près du téléphone.
— Rien d’autre ? demande-t-elle. Et votre Perrier ? fait-elle d’une voix enjôleuse.
— Ah ouais, bonne idée. Et... Jean ?
— Oui ? Sa patience est un apaisement pour moi.
— Vous ne me trouvez pas cinglé ? Je veux dire, de vouloir un lit bronzant ?
Un silence. « Eh bien, c’est un petit peu inhabituel, effectivement », avoue-t-elle. « Mais non, bien sûr que non. Sinon, comment allez-vous pouvoir conserver ce hâle si diaboliquement séduisant ? » Il est clair qu’elle pèse très soigneusement ses mots.
— Vous êtes une brave fille, dis-je avant de raccrocher. J’ai une secrétaire formidable.
Cinq minutes plus tard, elle entre dans le bureau avec le Perrier agrémenté d’une rondelle de citron vert et le dossier Ramson, qu’elle n’avait pas besoin d’apporter, et je suis vaguement touché par cette dévotion presque totale. Je ne peux m’empêcher de me sentir flatté.
— Vous avez une table chez Camols à midi et demi, déclare-t-elle tout en versant le Perrier dans un grand verre. Salle non-fumeurs.
— Ne portez plus ce déguisement, dis-je, la détaillant rapidement du regard. Merci, pour le dossier Ramson.
— Hum... fait-elle, le verre à la main. Qu’avez-vous dit ? Je n’ai pas entendu, demande-t-elle avant de le poser sur le bureau.
— J’ai dit, fais-je calmement, avec un large sourire, que vous ne devez plus porter ce déguisement. Mettez une robe, une jupe, un truc comme ça.
Elle demeure silencieuse, un peu stupéfaite, puis elle baisse les yeux sur ses vêtements, et sourit d’un air imbécile. « Ça ne vous plaît pas, j’ai compris », dit-elle avec humilité.
— Allons, dis-je, buvant mon Perrier à petites gorgées. Vous êtes trop jolie pour ce genre.
— Merci, Patrick, fait-elle, sarcastique — mais je suis sûr que demain, elle portera une robe. Le téléphone se met à sonner sur son bureau. Je lui dis que je ne suis pas là. Elle se détourne.
— Et des talons hauts ! dis-je. J’aime bien les talons hauts.
Elle hoche la tête en sortant, comme une brave fille qu’elle est, fermant la porte derrière elle. Je sors le Panasonic de poche, avec écran couleur de huit centimètres et radio AM/FM, essayant de trouver quelque chose d’intéressant à regarder — peut-être Jeopardy ! — avec de la chance, avant de m’installer devant mon terminal d’ordinateur.
AU CLUB DE GYM
Le club de gym où je vais, Xclusive, est un club privé, situé à quatre rues de mon appartement, dans l’Upper West Side. Depuis deux ans que j’ai pris ma carte de membre, il a été réaménagé trois fois et, s’il est équipé des appareils les plus récents (Nautilus, Universal, Keiser), on y trouve aussi un large éventail de poids et haltères, que j’aime bien utiliser, également. Il offre dix courts de tennis et de racquetball, des cours d’aérobic, quatre ateliers de danse gymnique, deux piscines, des home-trainers, un Gravitron, des rameurs, des cylindres d’entraînement, des simulateurs de ski de fond, des appareils d’échauffement à deux, des bilans cardiovasculaires, des programmes d’entraînement personnalisés, des massages, des saunas et bains de vapeur, un solarium, des cabines UVA et une cafétéria où l’on sert des jus de fruit, tout cela conçu par J. J. Vogel, qui a dessiné le Petty’s, le club de Norman Prager. La carte de membre revient à cinq mille dollars par an.
Il faisait frais, ce matin, mais quand je sors du bureau, le temps semble s’être réchauffé, et je porte un costume croisé, Ralph Lauren, raies blanches, six boutons et une chemise Polo, col ouvert et poignets mousquetaire, en coton Sea Island imprimé de fines rayures au crayon. Je me déshabille dans le vestiaire, bénissant l’air conditionné, puis je passe un short noir corbeau en coton et Lycra, bandes blanches à la ceinture et sur les côtés, et un débardeur en coton et Lycra (Wilkes), et pouvant se plier si serré que je les transporte dans mon attaché-case. Ainsi en tenue, et ayant coiffé mon walk-man, l’appareil accroché à la ceinture du short et les écouteurs posés sur mes oreilles (j’écoute une compilation Tom Bishop / Christopher Cross que Todd Hunter a enregistrée pour moi), je vérifie mon reflet dans le miroir, avant de pénétrer dans la salle et, mécontent de moi, vais chercher dans mon attaché-case la bombe de mousse pour plaquer mes cheveux en arrière, puis je me passe un peu de lotion hydratante sur le visage et, remarquant une légère rougeur sous ma lèvre inférieure, j’ajoute une touche de Touch-Stick, Clinique. Satisfait, j’allume le walkman, monte le volume, et quitte le vestiaire.
Cheryl, la petite boulotte amoureuse de moi, est assise derrière son bureau, où elle enregistre les entrées, plongée dans la rubrique des potins du Post. Quand elle me voit arriver, son visage s’illumine nettement. Elle me dit bonjour, mais je passe devant elle sans m’arrêter, remarquant à peine sa présence, car il n’y a pas de queue devant le Stairmaster, pour lequel il faut généralement attendre vingt minutes. Avec le Stairmaster, on fait travailler l’ensemble de muscles le plus important du corps, entre le bassin et les genoux, et l’on peut parvenir à brûler plus de calories à la minute qu’en faisant n’importe quel autre exercice, à part le ski nordique, peut-être.
Je devrais peut-être commencer par quelques assouplissements, mais il faudrait alors que j’attende — il y a déjà une espèce de pédé derrière moi, sans doute en train de mater mon dos, mon cul, les muscles de mes cuisses. Pas une seule mignonne au gymnase, aujourd’hui. Seulement des pédés du West Side, sans doute des acteurs au chômage, des serveurs de nuit, et Muldwyn Butner, de chez Sachs, avec qui j’étais à Exeter, occupé à se faire les biceps. Butner porte un bermuda en coton et Lycra avec incrustation damier, un débardeur en coton et Lycra, et des Reebok de cuir. Au bout de vingt minutes, j’arrête le Stairmaster, l’abandonnant au pédé entre deux âges, hypermusclé, les cheveux décolorés, et je commence les extensions. Tandis que je m’entraîne, le Patty Winters Show que j’ai vu ce matin me revient en mémoire. Le thème en était : ‘‘Les Grosses Poitrines’’. Il y avait là une femme qui s’était fait réduire les seins, car elle les trouvait trop importants — cette pauvre idiote. Immédiatement, j’ai appelé McDermott, qui regardait aussi l’émission, et nous avons passé le reste de la séquence à nous moquer de la bonne femme. Je fais environ un quart d’heure d’extensions avant de me diriger vers le Nautilus.
J’avais un entraîneur personnel, que m’avait recommandé Luis Carruthers, mais il a essayé de me sauter dessus à l’automne dernier, et j’ai décidé de gérer mon propre programme de santé, qui comprend aérobic et musculation. Avec les poids, je fais alterner haltères et appareils utilisant des systèmes de résistance hydraulique, pneumatique ou électromécanique. La plupart sont très efficaces, car des claviers informatiques vous permettent de régler le degré de résistance de la machine sans avoir à vous lever. Un des avantages de ces appareils est de limiter la fatigue musculaire, réduisant ainsi les risques d’accident. Mais j’aime aussi la variété et la liberté qu’offrent les poids et haltères, le grand nombre de possibilités que je ne peux exploiter avec les appareils.
Pour les jambes, je fais cinq séries de dix flexions. Pour le dos, même chose. Quant aux abdominaux, j’en suis arrivé à pouvoir faire six fois quinze mouvements, et pour les biceps, sept fois dix. Avant de passer aux haltères, je fais vingt minutes de home-trainer, tout en lisant le dernier numéro de Money. Puis je m’octroie trois séries de quinze flexions-extensions-tractions pour les jambes, trois séries de flexions à la barre, trois séries de vingt extensions latérales pour les deltoïdes postérieurs et trois séries de vingt tractions, tractions de courroies, poids et flexions à la barre. Pour les pectoraux, je fais trois séries de vingt pompes sur la planche inclinée. Pour les deltoïdes antérieurs, trois séries de redressements latéraux et de tractions assises. Enfin, pour les triceps, je fais trois séries de vingt tractions au câble et de pompes. Après quelques extensions supplémentaires pour me détendre, je prends une rapide douche brûlante, et file au magasin de vidéo pour rendre les deux cassettes que j’ai louées lundi, She-Male Reformatory et Body Double, mais je reloue Body Double, que j’ai l’intention de regarder de nouveau ce soir, bien que, je le sais, je n’aurai pas le temps de me masturber sur cette scène où la femme se fait perforer à mort par une perceuse électrique, puisque j’ai rendez-vous avec Courtney à sept heures et demie, au café Luxembourg.